Les années Before | Soft Machine | Matching Mole | Solo | With Friends | Samples | Compilations | V.A. | Bootlegs | Reprises|
Interviews & articles
     
 Robert Wyatt, le rescapé du rock - L'Evènement du jeudi - N° 365 - du 31 octobre au 6 novembre 1991



 




obert Wyatt a une barbe un peu folle et les cheveux longs. Il a 47 ans et vit à Louth, une bourgade anglaise sans importance au nord-est de Londres. Robert Wyatt sort des disques au compte-gouttes. A chaque fois, on se laisse prendre à cette voix liquide et mélancolique qui, depuis trente ans, psalmodie d'étranges mélodies, entre rock dadaïste et jazz désenchanté. Après s'être tu pendant cinq ans, Robert Wyatt revient avec Dondestan (« Où sont-ils ? ») dédié aux apatrides.

Dans les années 60, Robert Wyatt était le batteur fantasque de Soft Machine, groupe phare avec Pink Floyd de ce rock londonien avant-gardiste, qui servit de bande-son aux événements de Mai 68 : « Nous n'avons jamais pensé jouer du rock. Probablement du fait que notre musique n'entrait pas dans un format déjà existant, nous nous sentions plus près de gens comme le jazzman Ornette Coleman qui avait en quelque sorte inventé une musique. On ne savait pas comment jouer de la pop... La pop n'offrait pas assez d'espace ouvert à l'improvisation. » Soft Machine tourne aux Etats-Unis avec Jimi Hendrix. Les pataphysiciens les élèvent au rang de chevaliers de la Grande Gidouille. Robert Wyatt met au point un jeu fantasque de batterie, où cymbales et fûts chantent plus qu'ils ne marquent le rythme. Il chante aussi : « La batterie est un instrument atonal qui produit des rythmes et une texture, une énergie, que j'appréciais dans le jazz. Mais en tant que consommateur de musique, ce qui me hantait, c'était de petits fragments de mélodie qui se stockaient dans mon esprit et n 'avaient pas l'opportunité de se développer dans ce contexte. J'avais donc besoin de trouver un contexte. Ensuite, ça a été un processus lent... » Dès le quatrième album, sous l'impulsion du froid Mike Ratledge, la « Machine molle » s'oriente vers une musique de plus en plus structurée, oubliant son principe fondateur: « L'absurdité comme élément libérateur. » Robert Wyatt ne le supporte pas. Et s'en va. «Je ne voulais plus consacrer ma vie à être dans une machine de plus en plus efficace... Ils recherchaient quelqu'un de plus professionnel, j'étais considéré comme un amateur fini. » II fonde son propre groupe, Matching Molle, d'inspiration gauchiste : « Ce qui est bien dans le rock, c'est son côté démocratique, tout le monde peut en faire, tout le monde peut en écouter. »




Une nuit de l'été 1973, c'est le drame. Au cours d'une fête, Robert Wyatt, qui a toujours aimé boire, se prend pour un oiseau. Il sera paraplégique à vie. Adieu la batterie... Après un an d'hospitalisation, il enregistre grâce à Nick Mason, le batteur de Pink Floyd, Rock Bottom, un album magique, à mille lieues de ce que l'on entendait à l'époque. Il y chante un monde brumeux : « Je chante presque une espèce de nostalgie pour des rêves qui ne se sont jamais réalisés : ce n'est pas tout à fait du militantisme. »

Au début des années 80, Robert Wyatt le pataphysicien adhère au matérialisme dialectique et milite au Parti communiste britannique. « Dans les seventies, j'ai voulu rejoindre des gens d'une classe qui s'éduque en permanence. Ma femme et moi étions sans cesse à recherche de livres et il était plus stimulant d'être dans un milieu où les livres circulent tout le temps. Le PC semblait un bon vecteur, car en Angleterre il n 'a jamais eu ni la crédibilité ni la taille de ceux de France ou d'Italie, pour d'évidentes raisons historiques : chez vous, la résistance passait par le communisme ; ici, elle s'appelait Winston Churchill... Je sentais que j'étais prêt pour rejoindre une organisation politique qui était aussi impopulaire et incomprise que pouvait l'être l'avant-garde dans le milieu artistique. » Dans la foulée, il enregistre des titres comme Stalin Wasn't Stallin (« Staline rigolait pas ») qui avait été lancé par le Golden Gate Quartet pendant la guerre... « J'ai toujours été un léniniste romantique », dit-il.

Aujourd'hui, revenu de tout (en dehors d'une certaine nostalgie pour Cuba), Robert Wyatt, sage en chaise roulante, qui se cache tantôt derrière des habits de clown surdoué, tantôt de savant fou, compose des morceaux d'extraterrestre en quête de paysage. C'est pour ça qu'on l'admire.

Yann PLOUGASTEL

CD Dondestan, Rough Trade, distr. Virgin, 30870. Pour des raisons incompréhensibles, les premiers albums de Soft Machine et de Robert Wyatt ne sont plus disponibles...



       
     
Previous article