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 Robert Wyatt - "Ma propre folie" - Keyboards Recordings - N° 203 - décembre 2005




Robert
Wyatt

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" Ma propre folie "
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En 1974, Robert Wyatt remontait sur scène après un accident grave. Un concert unique, resté dans les mémoires sous la forme de bootlegs. Trente ans après, l'événement prend un tour officiel avec la sortie du live. L'occasion pour le batteur-chanteur de revenir sur une carrière riche en folies...


KR : Théâtre Royal Drury Lane 8th September 1974, le concert unique qui marqua votre retour sur scène après l'accident qui a provoqué votre paralysie, bénéficie aujourd'hui d'une sortie officielle. Pourquoi?

Robert Wyatt: On m'a longtemps demandé de le sortir. De très mauvaises versions pirates ont fait surface ces dernières années et ces putains de bootlegs blessaient ma vanité (rires). Du coup, on a décidé de sortir notre propre pirate. Les bandes étaient dans les coffres de Virgin Records depuis des années. On a récupéré un peu plus de la moitié des masters. La durée de la première partie du concert est égale à celle d'un LP, soit quarante minutes. Les vingt minutes restantes ne sont pas complètes. Je m'en excuse dans le livret de l'album, même si les représentants américains de Rykodisc m'ont expliqué que je ne devais pas m'excuser. Typique des Américains...


Quelle a été votre réaction à l'écoute de ces bandes trente ans plus tard ?

J'ai été choqué de plaisir en constatant que le concert sonnait beaucoup mieux que dans mes souvenirs. Je ne me souvenais pas non plus d'avoir chanté des notes aussi hautes... J'étais tellement nerveux à cause de mon implication personnelle dans le projet que je ne faisais presque pas attention aux autres membres du groupe. C'était la première fois que je me retrouvais à la tête d'un groupe. J'avais l'impression de passer du rôle d'acteur à celui de metteur en scène. En tant que batteur, j'essayais juste de m'intégrer tout en écoutant les musiciens interagir sur scène. Ils ne s'échangeaient pas les choses les plus évidentes. Je suis sûr que les concerts auraient été différents chaque soir mais, de toute manière, je n'aurais jamais pu financer une tournée pareille.


En fin de concert, vous reprenez « I'm A Believer », un titre pop des Monkees qui ne cadre pas du tout avec votre répertoire habituel. Pourquoi ce choix inattendu?

Au cours d'une interview avec le New Musical Express, on m'a demandé si j'avais envie de reprendre une chanson pop. L'idée m'a amusé. Je n'ai rien contre la musique pop, contrairement à la majorité des rockers et des jazzmen. J'ai essayé d'imaginer comment interpréter un titre des Monkees en y ajoutant ma propre folie. C'est intéressant de se retrouver à l'intérieur d'une chanson pop et d'étudier son organisation interne. Les chansons pop ne se prennent pas pour des symphonies. De plus, j'ai toujours pensé que les compositeurs étaient moins snobs que le public. Beethoven et Stravinski ont toujours tenu compte des airs folkloriques et des chansons populaires de leur enfance. Bartok et Gershwin aussi.


Nick Mason, le batteur des Pink Floyd, jouait à Drury Lane. Il a aussi produit Rock Bottom, votre deuxième album solo sorti en 1974. Quelle a été son influence sur le son de ce disque?

Nick et ma femme Alfie ont exercé une sorte de double influence. Ils pensaient que la musique que j'avais jouée auparavant ne respirait pas assez, qu'elle manquait d'espace. Alfie a toujours été une fan de Van Morrison. Elle aimait sa manière de «dériver ». Elle pensait que Soft Machine et Matching Mole essayaient trop de remplir chaque instant avec de nouvelles idées et de nouveaux procédés. D'un point de vue technique, Nick Mason était un batteur au style totalement opposé au mien. Il marque le temps comme une grande horloge sur les disques des Pink Floyd. Je voulais qu'il amène à l'album son sens du pas et de l'espace. Nick incarne mon contraire absolu. Mon cerveau pétille en permanence, comme si des petits solos de Coltrane traversaient mon esprit à toute vitesse.



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Vous avez aussi joué de la batterie sur The Madcap Laughs, le premier album solo de Syd Barrett. Quels souvenirs gardez-vous de ces sessions?

On jouait dans les mêmes clubs avec le Floyd. Il nous a entendus et il avait envie de faire autre chose que ce qu'il faisait avec son groupe. Il voulait voir ce qui allait se passer avec d'autres musiciens, comme je l'ai fait par la suite avec Nick Mason et David Gilmour. Il y a de très belles chansons sur The Madcap Laughs. De très drôles aussi... Il ne nous donnait aucune indication sur les tonalités, le rythme ou quoi que ce soit d'autre. Il était très calme mais, avec un peu de recul, je crois qu'il était très nerveux à l'idée de travailler avec des gens qu'il ne connaissait pas. Nous étions un groupe ordinaire, rien à voir avec la formation glaciale et majestueuse que le Floyd allait devenir. On était l'inverse, une sorte de train express... Syd se tenait dans un coin du studio, en train de chanter ses chansons à la guitare. Il nous demandait juste de l'accompagner. Je pensais qu'il n'utiliserait pas ces morceaux dont la plupart étaient basées sur l'invention instantanée. Syd était un singer/songwriter de l'improvisation libre.


Vous êtes paralysé suite à une chute survenue en 1973. De quelle manière appréhendez-vous l'enregistrement aujourd'hui?

J'ai un 8 pistes, un piano, une trompette et quelques cymbales dans ma chambre. Quand je veux m'enregistrer de manière plus professionnelle, je me rends au studio de Phil Manzanera, à Londres. D'un point de vue technologique, je suis toujours coincé au 20e siècle. Je me suis construit culturellement au siècle dernier. À mon âge, il serait stupide d'essayer de m'adapter aux dernières évolutions techniques. Je suis comme un immigrant qui ne comprendrait pas le langage de la technologie moderne.


Avez-vous déjà songé à enregistrer un album uniquement constitué de voix?

Oui et non, car j'ai participé un disque de ce genre récemment: Medulla, avec Björk. C'était un grand honneur de la rencontrer. C'est une grande chanteuse soul, comme l'était Nina Simone. Une grande parolière aussi. Je l'admire. Ses disques ont le souffle de la vie. J'étais très nerveux quand elle est venue chez moi. J'ai fait quelque chose de spécial pour elle : elle est arrivée avec son ingénieur du son et j'ai rempli une bande avec toutes sortes de parties vocales. Elle devait rentrer ce soir-là en Islande avant de repartir pour New York. Elle est partie avec la bande, ce qui m'a un peu contrarié. En général, quand j'enregistre, j'aime bien me réécouter deux jours après, puis revenir ensuite de nombreuses fois sur mon travail. Je pensais qu'elle n'utiliserait que quelques bribes de ma voix sur son album. Dans Medulla, il y a un morceau superbe intitulé « Constellation ». Mais sur « Oceania », elle s'est servie d'accords basés sur les samples de ma voix comme si elle jouait d'un clavier.


Quels sont vos prochains projets?

Impossible à dire. Je ne fais jamais de projets. Je viens de terminer l'enregistrement de 50 Minutes Later, le nouvel album de Phil Manzanera. Brian Eno, Andy Mackay et Paul Thompson jouent dessus. Je leur ai suggéré de monter un tribute band à Roxy Music avec moi au chant à la place de Brian Ferry (il se lance dans une imitation parfaite de Ferry) « Do The Strand... ». Pas mal, non? (Rires)

C.G.

Robert Wyatt & Friends Théâtre Royal Drury Lane 8th September 1974 (Hannibal/Rykodisc/Naïve)
 

     
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