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 Le Jazzfan - Jazz Magazine - N° 607 - octobre 2009



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LE JAZZFAN

Si une créature congelée dans les sixties pouvait être ramenée à la vie à Louth aujourd'hui, elle ne serait sans doute guère surprise par ce qu'elle verrait, à quelques détails près. Off The Beaten Tracks, sur Aswell Street, un magasin de disques à l'ancienne, tenu par Mark Merrifield, est là pour le prouver. Chevelu, mais pas bien vieux, Mark a failli avoir un accident de voiture quand il a vu là, sur le trottoir, vu de ses yeux dans la ville où il a ouvert son magasin, détournant soudainement toute son attention de conducteur, Robert Wyatt, LE Robert Wyatt. Dorénavant, il sait qu'il habite à côté de lui.
En ces journées ensoleillées, Robert paraît en très bonne forme et pratique l'art de mettre à l'aise son interlocuteur, lui faisant sentir que c'est lui, Robert Wyatt, qui est flatté par l'intérêt que nous lui portons. Cette attitude n'est pas feinte ou faussement modeste, mais, d'après Alfie - Alfreda Benge, sa femme -, correspond à une facette primordiale de sa personnalité: le plaisir de la rencontre, de la conversation et du partage hors de toute agressivité.

Depuis les années 50, le Jazz a toujours occupé une place importante dans la vie de Robert Wyatt. C'est bien sûr une influence musicale majeure dans ses propres disques, mais c'est surtout un idiome qui l'a accompagné toute sa vie, à la fois refuge intime et déclencheur d'idées. « Dans ma famille, la musique était constamment présente. Mon père, très bon pianiste, est venu vivre avec ma mère quand j'avais six ans. Il aimait particulièrement les compositeurs du début du XXème siècle comme Stravinsky, Bartok, Chostakovitch, Ravel, Debussy, Satie, Hindemith... L'enfant et les Sortilèges a bercé mon enfance et m'a imprégné de la tradition musicale française. Mais mon père était aussi très éclectique, me faisant découvrir une spécialité anglaise, les christmas songs (chants de noël) et le jazz. Mon frère Mark apporta aussi sa contribution avec sa collection de disques et ses interprétations au piano de morceaux de Duke Ellington et de Charles Mingus. Enfin, ma mère n'était pas en reste, m'introduisant au monde de l'opéra comme aux enregistrements de Doris Day. »




« Je fais certainement partie de la dernière génération pour laquelle le jazz représentait la première découverte et la principale éducation musicale à la radio. Il était alors un courant majeur en termes d'audience, statut qu'il a perdu quand il s'est éloigné de la danse et s'est peu à peu confiné dans des références plus intellectuelles. Toute l'histoire du jazz me plaît. Ma musique classique, c'est Blue Note et le bebop, Hank Mobley, Lee Morgan, Chet Baker, Miles Davis et les autres. À l'époque, entendre jouer un trompettiste, c'était l'extase. La découverte d'Art Tatum et de Duke Ellington, elle, vient de mon père. Un cinéaste, il me semble, a un jour déclaré que les sixties représentaient pour nous une période de renversement des valeurs, de libération et de révolte contre les parents. Qu'il parle pour lui ! Il n'y a jamais eu de dispute avec mes parents dans le domaine de la culture. Au contraire, j'ai compris et aimé ce qu'ils m'ont apporté, telle que la découverte du jazz et de la peinture, ce qui ne m'a pas empêché d'appréhender beaucoup de choses par moi-même, ou à travers une vision personnelle. Ainsi, je me rappelle encore avoir pleuré à la projection du film Glenn Miller Story, pas pour l'histoire de Glenn Miller, mais en voyant Louis Armstrong interpréter Basin Street Blues, que j'ai immédiatement acheté en 78-tours.»




BITCHES BOUH !
Quand j'étais teenager, rien ne marchait socialement. J'étais complètement paumé. J'aimais peindre, écouter du jazz et regarder les filles, au lieu de travailler. Comme je n'avais aucune idée de la bonne manière de communiquer avec les filles, je passais l'essentiel de mon temps à jouer des disques. Le rock'n'roll était pour moi une forme de musique à apprécier dans un certain contexte social, dans les clubs ou avec des amis, ce dont le jazz n'avait pas besoin. Pour écouter Miles Davis, il n'est pas besoin d'être copain avec lui. D'ailleurs, quand j'ai rencontré Miles, ça ne s'est pas très bien passé. C'était à New York en juillet 1971, avec Soft Machine, nous partagions l'affiche avec le groupe de Miles (qui comprenait notamment Jack DeJohnette et Keith Jarrett) au Beacon Théâtre. Caroline, celle de Oh!Caroline, mon amie de l'époque, m'accompagnait et j'essayais de l'initier au jazz. Dans les loges, nous avons vu Miles. Caroline s'est alors approchée pour prendre une photo, mais Miles s'est tourné vers elle en criant : « Que cette salope vire ce putain de truc loin de mon visage !». Immédiatement, j'ai su que je n'aurais pas l'occasion de parler à mon trompettiste favori et que je n'initierais jamais Caroline à l'univers merveilleux du jazz. »


LES BALAIS D'ASCENSEUR
« Jouer de la batterie m'a toujours procuré un plaisir intense : frapper les peaux et les cymbales me convient tout à fait. Plusieurs batteurs m'ont vraiment impressionné, parfois bien après les avoir découverts, prenant seulement conscience de leurs qualités exceptionnelles au fil du temps. C'est le cas pour des musiciens comme Art Taylor et Charlie Persip, qui était toujours en parfaite osmose avec le contrebassiste. Quant à Tony Williams, c'était une véritable encyclopédie de l'instrument : il en explorait comme nul autre toutes les possibilités, créant de nouveaux langages. À ces noms, je rajouterai celui de Dannie Richmond, qui a longtemps accompagné Charles Mingus, ainsi qu'une pensée envers les batteurs de La Nouvelle-Orléans, ceux de la soûl et du deep south des États-Unis. Sur Old Europe (un titre de "Cuckooland"), j'ai utilisé des balais en référence au jeu de Kenny Clarke dans Ascenseur pour l'échafaud. Ce film, que j'ai vu pour la première fois à Paris, m'a laissé une impression extraordinaire et durable, en grande partie grâce à la musique de Miles Davis. D'ailleurs, alors que les sessions de jazz proposent souvent un enchaînement thème/solo/thème, les bandes originales laissent finalement plus de liberté d'expression aux musiciens, grâce à une structure plus ouverte. Je pense que cet exercice a profondément influencé les orientations futures de Miles Davis. Shadows, un film de John Cassavetes, avec sa BO et la participation de Charles Mingus, est une autre belle expérience. »


SOFT MACHINE : ROCK ET JAZZ
« Quand Soft Machine a commencé à jouer ses propres compositions, nous y avons peu à peu introduit une bonne part de jazz et d'improvisations, surtout pour ne pas répéter soir après soir les mêmes solos, les mêmes passages, bref pour éviter la monotonie et l'ennui. Nous essayions de reproduire ce que nous avions dans la tête, mais nous n'y arrivions pas toujours, faute de capacités techniques suffisantes. De même pour la trompette, lorsque j'essaye d'apprendre à bien en jouer, je m'aperçois à quel point les jazzmen que j'admire sont brillants... Toutefois, nous avions réussi à faire preuve d'imagination et à incorporer des concepts dans notre musique, pour la rendre plus attractive, sans idées préconçues, ni théorie. Nous avons simplement emprunté au jazz des idées musicales et au rock une attitude, une arrogance théâtrale, une dynamique, une manière de jouer fort avec un son amplifié au maximum. Après nos concerts londoniens, j'allais régulièrement au Ronnie Scott découvrir ou réécouter des musiciens de jazz. »


ROBERT LE JAZZFAN
« Quand j'enregistre, je choisis des musiciens avec qui j'ai des affinités. Je leur fais écouter les morceaux que j'ai préalablement enregistrés chez moi. Avec les musiciens venus du jazz, je n'ai pas besoin de longues explications, en général ils comprennent très vite ce qu'ils entendent et ce que je leur demande. » Comme on le voit à travers ces extraits d'interviews, le jazz est constamment présent d'une manière ou d'une autre dans l'univers singulier de Robert Wyatt, bien qu'il ne se considère pas du tout comme un jazzman, mais avant tout comme un amateur...»



A LIRE - Le texte complet de cette série d'entretiens devrait paraître fin octobre sous le titre de "Robert Wyatt par Philippe Thieyre (texte) et Jean-François Dréan (photos)" aux Editions des Accords.






Photo: Jean-François Dréant
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Photo: Jean-François Dréant


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