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 Soft Machine - Best - N° 10 - mai 1969



 

Début 67, deux groupes se partageaient les faveurs de l'underground londonien : les Pink Floyd et le Soft Machine. Ce dernier se composait alors de quatre membres : Mike Ratledge (orgue), Robert Wyatt(batterie et chant), Kevin Ayers (basse) et David Allen (lead guitar) ; ils sortirent à cette époque un premier excellent simple « Love Makes Sweet Music » « Feelin', Reelin', Squeelin' » Polydor 53151). Ce disque ne fut suivi d'aucun autre mais on continua à parler beaucoup du Soft Machine au cours de l'année 67 : non seulement à Londres où ils étaient habitués de l'U.F.O. et du Middle Earth, mais aussi en France où on les vit participer à toutes sortes de manifestations d'avant-garde (en particulier « le Diable tiré par la queue », pièce de Picasso montée sur la Côte d'Azur par le " happening-man " J.-J. Lebel). C'est cet été-là que leur guitariste David Allen les quitta, et c'est cette formation réduite à trois membres qui stupéfia le public du Palais des Sports, les 17-18 novembre 67...

Pour tout le monde le Soft Machine semblait devoir être « le » groupe de 68. Malheureusement, si l'on continua à en parler, ce fut très épisodiquement, et l'on n'eut plus guère l'occasion de les entendre, que ce soit en Angleterre ou dans le reste de l'Europe. Ils passèrent par contre beaucoup de temps aux Etats-Unis, où ils firent en particulier une tournée avec Jimi Hendrix. Enfin, c'est là-bas qu'ils enregistrèrent et sortirent leur premier L.P., à la fin de l'année, sous le label Probe. « Best » vous a déjà parlé de la surprenante pochette double de cet album produit par Chas Chandler et et Tom Wilson. Cela fait plus d'un an et demi que nous l'attendions, mais il en valait la peine.

Le Soft Machine est sûrement le plus « intellectuel » des groupes — ceci dit sans aucune nuance péjorative, bien au contraire : rappelons seulement que Mike Ratledge est licencié en psychologie et philosophie, qu'il remporta un prix de philosophie à Oxford — mais c'est aussi trois des plus extraordinaires et des plus originaux musiciens qui soient. Mike fit partie d'un groupe de jazz d'avant garde avant de joindre le Soft Machine. Kevin Ayers est maintenant à la fois bassiste et occasionnellement le lead guitar du groupe, mais surtout il en est l'arrangeur et c'est lui qui écrit le plus de morceaux. Robert Wyatt, le batteur, est de plus un musicien très complet puisqu'il joue également du piano, du violon, du violoncelle, de la guitare et de la trompette.

Enfin, il possède une voix exceptionnelle, à la fois acide et douce, riche et surtout incroyablement sûre. Il stupéfia une fois Michael Zwerin, critique du « Village Voice » (le journal de Greenvich Village} en chantant note pour note le solo de bop du saxophoniste Charlie Parker dans « Donna Lee ».

A Londres, entre Noël et le Nouvel An, le bruit courut un moment que le Soft Machine allait se séparer. Mais heureusement, j'ai eu la chance d'avoir Robert Wyatt au téléphone et il me rassura lui-même :

« Non, il n'est pas question de nous séparer. Seulement, nous avions quelques problèmes : Kevin ne voulait plus passer l'essentiel de son temps aux Etats-Unis, à cause de sa « girl-friend » qui, elle, devait rester en Europe. Mais c'est arrangé : en 1969 nous serons surtout en Europe. De toute façon nous préférons le public européen, en général.

— Pourtant la plupart des groupes semblent beaucoup apprécier de jouer aux Etats-Unis, à cause des jam-sessions, en particulier...

— Oui, bien sûr. Mais en fait les jam-sessions de rock — au sens américain du terme, c'est-à-dire la pop' en général — sont finalement assez ennuyeuses, c'est un peu toujours la même chose. Par contre, avec des musiciens de jazz, c'est effectivement très intéressant. Nous avons en particulier joué avec le guitariste Larry Coryell, c'était formidable.

— Votre album américain va-t-il sortir en Europe ?

— Ce n'est pas certain encore. D'ailleurs nous ne sommes pas pleinement satisfaits de ce premier album. Il n'est pas vraiment tel que nous l'aurions voulu. Nous allons en enregistrer un second en février, en Angleterre.

— Quelle évolution de votre musique représentera-t-il ?

— Notre musique, dans sa conception, va se rattacher de plus en plus au jazz. Cependant, bien sûr, nous continuons à nous intéresser beaucoup aux effets spéciaux et à la musique concrète. De plus, Mike va maintenant un peu abandonner l'orgue pour se consacrer surtout au piano électrique.

— Pouvons-nous espérer vous voir bientôt en France ?

— Oui, très probablement après l'enregistrement de ce nouvel album : au printemps... »

J'aurai donc bientôt de nouveau l'occasion de vous parler de Soft Machine, qui représente pour moi la réalisation du groupe idéal : trois musiciens exceptionnels ayant su créer leur propre musique, riche et profonde, échappant à toute classification...

Hervé Muller



 

       
     
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