Noisette
2000

Soft Machine

   
 


 
OCTOPUS - Eté 2000

SOFT MACHINE – Noisette (Cuneiform / Oka)

F.H.

 





Saisi à l'ourlet d'une des nombreuses formations plus ou moins stables de Soft Machine, « Noisette » nous projette au tout début de l'année 1970, époque rare où la figure de proue de l'école de Canterbury officiait en quintet. Aux côtés d'un Robert Wyatt toujours déchaîné, d'un Ratledge expert en orgue trafiqué et d'un Hugh Hopper habile à faire « fuzzer » sa basse de tous bois, Elton Dean et Lyn Dobson tricotent leurs vents dans un duo prolixe en fulgurances débridées. Rythmes obsessionnels, figures mélodiques répétitives, déports harmoniques, intrusions dans l'électroacoustique expérimentale et débordements sensoriels. Soft Machine était au jazz british, ce que Pink Floyd tentait d'être au rock... La dimension pataphysique en plus. D'une qualité sonore acceptable, bien que parfois un peu lointaine, cet enregistrement live a le mérite de témoigner de l'exubérance inventive et insouciante que le groupe déversait avec bonheur sur scène. Avec une mention toute spéciale pour Wyatt qui porte littéralement l'ensemble en s'agitant comme un diable derrière ses tambours. Outre le répertoire tiré de « Volume Two » et de «Third», qui encadrent cette période, « Noisette » propose plusieurs inédits abandonnés par la suite au fil des pérégrinations chaotiques du groupe. Le tout s'achève sur l'incontournable « We Did It Again ». Voilà certainement ce qu'on peut appeler une machine vintage, luisant de tous ses chromes!





 
DOWNBEAT - July 2000

SOFT MACHINE – Noisette (Cuneiform Rune 130)

Frank-John Hadley

 





Pax Brittanica. It's a good day for vintage British Indo-jazz and jazz-rock with new CDs available on alto player Joe Harriott's initial mid-'60s meeting with Indian musicians and on the little-known quintet edition of Soft Machine, whose music is finally heard at length after 30 years. Soft Machine had moved past its fondness for pop whimsy and was working out an innovative union of jazz and rock when expertly taped in a concert hall performance during the first week of 1970. The five band members, who'd recently seen two horn players split after a tour, construct wave after wave of suspense on extended but cleverly structured originals that flow together as one. Keeping his right hand active on a buzzing Lowrey organ while using his other to produce contrasting, subdued colors on electric piano, Mike Ratledge dominates the group sound. His linear and textural inventions are generally inventive, with few episodes of indulgent noisemaking. Ex-road manager Hugh Hopper's melodic runs on electronically altered or natural bass guitar sustain a balance between playfulness and enchantment. Robert Wyatt, who knows his Elvin Jones and Cecil Taylor records, drums with exuberance. Twenty-four-year-old Elton Dean, challenged but not defeated by troublesome contact mikes and an overbearing PA system, churns up a froth playing alto or saxello. Lyn Dobson contributes some OK soprano and flute. On his trademark tune, "Moon In June," and a couple more, Wyatt does a bit of his typically daft and charming singing.




 
RYTHMES CROISÉS - 2 octobre 2018

SOFT MACHINE – Noisette (2000, Cuneiform)

Stéphane Fougère

Article réalisé à partir de chroniques parues dans les revues TRAVERSES et TANGENTES, dûment remaniées et complétées en 2018.

 

C’est le 4 janvier que SOFT MACHINE donne son premier de l’année 1970 ; c’est aussi le premier à être donné dans une salle de grande capacité, le Fairfield Halls de Croydon, comptant plus de 1500 places ! Le groupe s’y présente dans une formule “amaincie” par rapport à la tournée française et belge qu’il a achevée quinze jours auparavant. De septette, il devient quintette.

Cette formule en quintette n’est pas inconnue des “SOFT MACHINE Heads”, puisque c’est elle qui a légué à la postérité la version de Facelift que l’on trouve dans l’album capital Third. On se souvient en effet que cette composition magistrale de Hugh HOPPER dans ledit album est à la base un enregistrement live qui a par la suite été “frankensteinisé” en studio, où il a subi plusieurs montages et démontages, et qu’on lui a même greffé des bouts d’une autre version live. Mais à l’origine, la captation live de Facelift qui a servi pour Third provient de ce concert à Croydon, et cet album Noisette ne contient rien moins que le “reste” de ce concert !

Au-delà de l’intérêt purement historique, cet enregistrement permet en outre de se familiariser avec un répertoire en forte mutation depuis le concert à Amsterdam en mars 1969 immortalisé par le CD Live at the Paradiso. Depuis l’été 1969, le répertoire scénique de la Machine molle est constitué de thèmes qui trouveront plus tard place dans Third (Moon in June et Facelift), de pièces jamais enregistrées sur les disques classiques du groupe, et seulement deux compositions de Volume Two (Hibou, Anemone and Bear et Esther’s Nose Job) assez transformées par rapport à leurs versions de studio. Autant dire que, pour le public des concerts de SOFT MACHINE à cette période, une majorité du répertoire est royalement inédit !

Le concert à Croydon débute précisément sur une composition inédite en version studio de Mike RATLEDGE, Eamonn Andrews, que des archives live publiées avant Noisette (The Peel Sessions, BBC Radio One in Concert, Virtually) nous avaient fait connaître dans des versions live postérieures nettement plus courtes. La version jouée à Croydon est plus longue que toutes celles-ci, atteignant les douze minutes. Elle démarre tranquillement avec piano et basse, avant que le trio de base ne fasse une embardée avec clavier électrique, basse “fuzz” et batterie frétillante, avec juste quelques singuliers couinements de saxophone à la cantonade.

Un autre thème de Hugh HOPPER jamais capté en studio lui fait suite, Mousetrap, sur lequel DEAN et DOBSON entrent définitivement en scène, plongeant dans cette chevauchée sauvage au rythme haletant. Lyn DOBSON parvient même à glisser quelques interventions vocales “scattées”. On croyait ce genre de fantaisie dévolue uniquement à Robert WYATT, on réalise ici qu’il n’en est rien ! Le même DOBSON émet d’autres borborygmes durant son solo de flûte qui habille merveilleusement bien une autre composition de RATLEDGE restée inédite chez SOFT MACHINE, la très planante Backwards, qui finira par atterrir dans le répertoire du groupe CARAVAN, dans la suite l’Auberge du sanglier/A Hunting We Shall Go, sur l’album For Girls Who Grow Plump in the Night.

À noter que Mousetrap et Backwards sont ici reliés par le court Noisette, qui sert de cordon ombilical, puis c’est le thème de Mousetrap qui revient après Backwards servir de pont avec une pièce plus connue de SOFT MACHINE, Hibou, Anemone and Bear, durant laquelle s’enchaînent soli de saxophone, d’orgue fuzz, et Robert WYATT y glisse quelques menues paroles, les seules qu’il chantera durant tout le concert ! Oui, les seules, puisque sur la version de Moon in June qui suit, le batteur reste étonnamment muet sur cette composition dont il est l’auteur, dont il a déjà enregistré une démo et pour laquelle il avait pourtant écrit des paroles, qu’il n’hésitait pas à modifier en fonction du contexte (cf. la version jouée à la BBC en 1969).

Dans Noisette, Moon in June est réduit à une portion instrumentale dominée par un solo d’orgue de Mike RATLEDGE – magistral, cela dit – qui débouche sur un autre thème de Hugh HOPPER, 12/8 Theme, un morceau parfaitement inédit que cette archive live permet de découvrir pour la première fois (à la différence de Eamonn Andrews et de Mousetrap, déjà révélés par une session BBC incluse dans le coffret vinyle Triple Echo et rééditée depuis en CD). Cette pièce de choix, atteignant les onze minutes, comporte toutes les caractéristiques d’une composition typiquement soft-machinienne et s’avère un écrin idéal pour les souffleurs, qui marquent leur empreinte avec rage et détermination.

Le set s’achève sur une pièce désormais classique du répertoire de SOFT MACHINE, Esther’s Nose Job, rendue aussi éclatante que pétaradante par le groupe entier, et qui enchaîne les éclats solistes et les passes d’armes d’orgue et de saxophones sur une rythmique tempétueuse. Robert WYATT a juste le temps de glisser deux courtes interventions vocales sans paroles dans cette matière musicale bouillonnante, aussi dense qu’emphatique, qui laisse tout juste deviner le haut degré de volume sonore auquel jouait SOFT MACHINE à cette époque.

Une dernière surprise nous est offerte avec le rappel, qui n’est rien moins qu’une reprise de We Did it again, seule pièce rescapée de l’époque Kevin AYERS. Mais de la chanson pop pataphysique qu’elle était au départ, elle devient ici une pièce en majeure partie instrumentale, prétexte à toutes formes de saturations et de rugosités, où même le chant de WYATT est très fragmenté. Il faut écouter cette version comme un adieu à une certaine époque de SOFT MACHINE et une illustration éloquente de l’évolution musicale de la Machine molle avec cette formation en quintette. Plus rien ne sera comme avant, semble nous dire le groupe.

Une note technique dans le livret nous informe que cet enregistrement a été mastérisé à partir des bandes magnétiques originales de Bob WOOLFORD, l’ingénieur du son de SOFT MACHINE, dont la vitesse d’enregistrement atteignait 15 pouces par secondes. Or, il est arrivé que certains morceaux soient coupés au beau milieu quand ces bandes étaient pleines, laissant un certain “blanc” dans la musique le temps que WOOLFORD installe une nouvelle bande sur son engin enregistreur. Il a fallu pallier à ces blancs en utilisant des fragments d’un autre concert (celui de l’University College à Londres une semaine plus tard) pour restituer sans interruption le flux du concert au Fairfield Hall de Croydon.

Quoi qu’il en soit, la captation sonore est excellente pour l’époque, et on ne peut qu’enrager de ne pas retrouver dans ce disque la version de Facelift qui a été jouée ce soir-là, on aurait pu ainsi la redécouvrir en intégralité et avec un meilleur confort d’écoute que sur l’album Third, où le travail de montage et de production a littéralement étouffé la prise de son d’origine. Noisette donne une bien meilleure image du caractère rêche et mordant que pouvait avoir SOFT MACHINE en concert.



 
       

Critiques/Reviews